Égalité professionnelle : comment atteindre l’équilibre ?

9 novembre 2023 6 min de lecture

Sujet d’actualité, préoccupation accrue des collaborateurs et collaboratrices, l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes bénéficie d’une visibilité croissante au sein des entreprises.

Décrétée grande cause nationale lors du 1er quinquennat d’Emmanuel Macron, l’égalité professionnelle fait l’objet de plusieurs réglementations récentes avec :

  • La création de l’index Egapro dans le cadre de la loi sur la liberté de choisir son avenir professionnel de 2018,
  • La féminisation des instances de direction des entreprises avec la loi Rixain de 2021,
  • La directive européenne 2023/970 du 10 mai 2023 sur la transparence des rémunérations.

Au moment de la parution de la loi de 2018, les chiffres officiels produits par la Dares faisaient état d’un écart de rémunération de 24% à la défaveur des femmes. Cet écart s’expliquait en grande partie par la sur-représentation des femmes :

  • Dans les secteurs d’activité peu rémunérateurs

    A titre d’exemple l’Insee relevait dans une étude de 2022 que 98% des emplois d’assistantes maternelles et 18% des emplois d’ingénieurs informatiques sont occupés par des femmes.

  • Dans les emplois peu ou pas qualifiés

    En 2020, 23,5 % d’entre elles sont employées ou ouvrières non qualifiées, contre 14,3 % des hommes.

  • Dans les emplois à temps partiels.

    27,4 % des femmes travaillent à temps partiel contre 8,4 % des hommes.

Une fois ces différents biais structurels écartés, un écart de rémunération inexpliqué de 9% persistait. C’est dans la perspective de résorber cet écart qu’avait été adoptée l’index égalité professionnelle.

5 ans plus tard, la situation a-t-elle profondément changé ? Les entreprises se sont-elles emparées du sujet pour faire évoluer les choses ? Quelles solutions peuvent encore être envisagées aujourd’hui ?

Un premier bilan en demi-teinte

Des constats chiffrés…

Si l’on examine les derniers chiffres du ministère du travail, de plus en plus d’entreprises se plient à l’exercice de publication de leur index d’égalité salariale. Néanmoins, près de 30% d’entre elles n’ont pas publié leur index 2023 malgré les risques de sanction qu’elles encourent.

Du côté des entreprises qui publient, la note globale obtenue progresse également avec une note moyenne de 88 sur 100.

Toutefois, 6% d’entre elles ont obtenu un score nul concernant le critère relatif à la gestion des augmentations pour les salariées en congé maternité. On rappellera ici que cette obligation est une disposition légale en vigueur depuis 2006 et que la mesure fournie par l’index se situe en-deçà des exigences légales. L’index ne cherche en effet qu’à vérifier que les femmes ont été augmentées, il ne mesure pas le niveau d’augmentation accordé, ni la pratique relative au paiement d’une rémunération variable. Ce qui pourrait passer pour une formalité permettant de « gagner facilement des points » reste insatisfait pour 6% des entreprises qui persistent à appliquer des pratiques discriminantes envers les femmes en congé maternité.

Par ailleurs, 33% des entreprises qui publient leur index en 2023 ont moins de 2 femmes dans leurs 10 plus hautes rémunérations. Cette note est également révélatrice du chemin encore à parcourir pour lever le plafond de verre et accroître la présence des femmes dans les plus hautes rémunérations, et, potentiellement, dans les plus hautes strates des organisations.

Ensuite, on rappellera que l’index égalité pro ne s’intéresse pas aux niveaux d’augmentations accordées mais bien à la proportion de personnes augmentées au sein de chaque sexe. Cette modalité de mesure est d’autant plus problématique qu’elle pourrait encourager les entreprises à une approche totalement contreproductive. En effet, en associant cette modalité de mesure à la règle dite « des mesures correctrices », une entreprise pourrait avoir le maximum de points sur ce critère en augmentant un maximum de femmes mais avec des niveaux d’augmentation dérisoires.

Enfin les bonnes notes issues des dernières publications de l’index Egapro doivent également être relativisées pour tenir compte de la méthodologie de calcul utilisée dans la réglementation. En effet, cette dernière propose un certain nombre d’éléments de correction qui ont pour effet de lisser les écarts et de tempérer certaines réalités.

Quelles évolutions des comportements ?

Si le bilan de l’index Egapro peut sembler relatif, nous pouvons espérer qu’il ait provoqué une prise de conscience de la part des entreprises, les encourageant à investir le sujet.

Une enquête terrain menée par la Dares en 2021 apporte un éclairage supplémentaire sur ces comportements et sur l’effet d’entraînement que pourrait générer la réglementation liée à l’index.

A travers la réalisation d’un certain nombre d’entretiens sur des profils variés d’entreprises, la Dares a identifié deux typologies d’entreprise dans le rapport à l’index :

  • Les entreprises qui n’ont pas attendu la parution de la loi pour travailler sur l’égalité salariale entre les hommes et les femmes.
  • Les entreprises qui se sont penché sur l’égalité salariale avec la parution de l’index Egapro.

En analysant les caractéristiques objectives de ces entreprises et les résultats issus des entretiens réalisés, il ressort deux types de comportements associés à ces profils :

  • Pour les entreprises « précurseurs », l’index est un outil supplémentaire qui vient enrichir leur palette d’action et qui peut étoffer la réflexion sur la méthodologie d’analyse des écarts. On en déduit donc que cette nouvelle obligation réglementaire constitue pour elles un « plus » éventuel mais ne suscite pas, en elle-même, une motivation à prendre en main la question de l’égalité professionnelle.
  • C’est donc pour les entreprises « suiveuses », que l’index pourrait constituer une opportunité à aborder le sujet et à engager une démarche vertueuse de lutte contre les discriminations faites aux femmes. Malheureusement, il ressort des enquêtes que cet index est perçu davantage comme une contrainte réglementaire supplémentaire que comme une opportunité à agir. Dans ce contexte, l’engagement de ces entreprises sur le sujet se borne au calcul de l’index et à l’obtention « d’une bonne note » mais va rarement au-delà.

La nécessité d’engager des actions

A l’heure où la marque employeur et l’Employee Value Proposition sont clés pour attirer et retenir les talents sur un marché en tension, le positionnement de l’entreprise en matière d’égalité professionnelle est un axe sur lequel certains n’hésitent pas à miser. A raison, d’après le dernier baromètre réalisé par le MEDEF auprès de +1500 salariés du secteur privé, la question de l’égalité des chances dans l’entreprise est un sujet prioritaire pour +90% d’entre eux.

Dès lors, comment agir pour faire progresser le sujet de l’égalité professionnelle au sein de l’entreprise ?

Tour d’horizon de quelques recommandations pour faire évoluer les pratiques…

Approfondir le diagnostic et affiner l’analyse des écarts

Le premier temps de l’approche consiste à réaliser un diagnostic éclairé. On l’a dit plus tôt, l’index égalité professionnelle est un outil imparfait, mais un premier outil qui a le mérite de mettre en lumière un premier niveau d’écart sur les rémunérations des hommes et des femmes de l’entreprise sur certaines classes d’âge, certaines catégories de salariés…

Approfondir l’analyse en faisant le zoom sur ces « poches » d’inégalités, permet d’identifier de façon plus précise les foyers d’inégalité entre les hommes et les femmes. Une analyse selon plusieurs angles mérite d’être envisagée : écarts par famille de métier, par niveau de responsabilité, par site géographique… Il s’agira ensuite de chercher des explications aux origines des écarts de rémunération et d’élargir à l’ensemble des processus RH : manque de diversité des métiers, plafond de verre, accès à la formation…

Il ressort fréquemment également que les catégories utilisées pour calculer les écarts de rémunération manquent de finesse. Le calcul de l’index peut donc mettre en avant l’opportunité de mettre en place une démarche de classification des emplois propre à l’organisation. On parle ici d’égalité professionnelle, mais il est important de rappeler le rôle clé de la classification des emplois en tant que pilier de l’équité interne des rémunérations.

Pour les entreprises déjà dotées d’une méthodologie de classification, le travail sur l’index égapro peut servir à mettre en lumière les dérives d’un système de classification des emplois qui n’aurait pas été mis à jour ou qui aurait pris une tendance inflationniste forte. Un travail sur l’égalité professionnelle pourra être l’occasion d’enclencher une réflexion plus globale sur le processus d’évaluation des emplois.

Co-construire un plan d’action multicanal

Comme indiqué plus haut, l’origine des écarts de rémunération trouve bien souvent plusieurs explications : féminisation des emplois, accès à la formation ou à la promotion, etc. Les entreprises seront donc encouragées à investir différents champs de la sphère RH pour faire évoluer les pratiques vers plus d’égalité entre les hommes et les femmes.

A ce titre, l’adoption de la loi Rixain en 2021 incite désormais les entreprises à s’intéresser au sujet des rémunérations mais aussi à la présence des femmes dans les instances de direction.

Afin d’assurer le succès des mesures engagées par les entreprises, on encouragera le recours à la méthodologie suivante :

  • Co-construire le plan d’actions avec les salariés : pour que les collaborateurs s’emparent du sujet et investissent les actions qui sont proposées, il nous semble indispensable d’asseoir leur légitimité et leur pertinence. Pour cela, rien de mieux que d’identifier avec les salariés eux-mêmes, les actions à mettre en œuvre en fonction des priorités et besoins de l’entreprise, de son secteur, de son niveau de maturité sur les sujets d’égalité professionnelle… Pour éviter de se disperser dans des actions multiples, ce travail pourra également s’appuyer sur le diagnostic engagé dans la lignée de la publication de l’index egapro.
  • Définir des actions « non genrées » : la tentation peut être de déployer des mesures réservées aux femmes telles que « réseaux de femmes », formation sur « le leadership au féminin »… Le risque d’une telle approche est de considérer des situations comme étant spécifiquement féminines alors qu’elles peuvent aussi concerner les hommes dans l’entreprise. Restreindre ces enjeux à la seule population féminine peut également conduire à en faire une préoccupation non partagée par l’ensemble des salariés de l’entreprise. Si on reprend les exemples pré-cités, on préfèrera alors des réseaux ouverts aux deux sexes dans l’entreprise, des formations au leadership pour tous ceux qui se sentent en difficulté d’assumer une telle posture, etc.

Si les entreprises ne sont pas encore convaincues de l’intérêt d’œuvrer en faveur de l’égalité professionnelle, l’évolution de la réglementation en cours devrait finir de les y convaincre. On notera à cet égard, l’influence de la loi Rixain, qui élargit le sujet des rémunérations à la gouvernance des entreprises. Enfin, la directive européenne sur la transparence des rémunérations, devrait également inciter les entreprises à approfondir le sujet et à anticiper sa parution (obligation de transposer pour les Etats d’ici 2026).

En effet, elle vient renforcer les obligations à la charge des entreprises à travers 3 principales mesures :

  • Publication d’un rapport sur les écarts de rémunération. Cette obligation déjà valable en France se voit approfondie : l’évaluation des écarts devra être effectuée conjointement avec les IRP en cas d’écarts de rémunération de +5% non justifiés par des critères objectifs non sexistes et en l’absence de correction dans un délai de 6 mois suivant la publication des écarts.
  • Possibilité pour les candidats à un emploi de se faire communiquer le 1er niveau de rémunération ou la fourchette applicable au poste auquel ils prétendent.
  • Possibilité pour les salariés de se voir communiquer leur niveau de rémunération individuelle et les niveaux de rémunération moyens par sexe pour les salariés effectuant le même travail ou un travail de même valeur.

L'auteur

  • Clémence BISSUEL

    Manager Rémunération & Talents, Groupe Diot-Siaci

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